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Céréaliculture :Yes we can !

(19/01/2011)

La céréaliculture au Maroc est connue pour être fortement subordonnée aux fréquents aléas climatiques, essentiellement la pluviométrie. Cependant, et malgré cette dépendance, améliorer la récolte nationale en quantité, qualité, conditions de production, etc, c’est possible. En effet, en plus des conditions météorologiques, l’autre ingrédient d’une bonne campagne céréalière est le respect, par les agriculteurs, d’un itinéraire technique approprié. Leur encadrement permettrait de maximiser les rendements en relevant le niveau technologique de ce secteur. Depuis l’indépendance du Maroc, l’autosuffisance alimentaire a toujours été l’un des piliers stratégiques de la politique agricole du pays. Aujourd’hui, et depuis de nombreuses années, elle constitue le principal oublié des politiques de développement de l’agriculture nationale. En effet et à plusieurs reprises, de hauts responsables ont indiqué qu’il était moins coûteux d’importer nos céréales que de continuer à essayer d’améliorer leur production. Ainsi, nos exportations couvrent de moins en moins nos importations dans le domaine agroalimentaire et, souligne la FAO, ‘‘le Maroc reste dépendant de l‘étranger pour son approvisionnement en denrées de base et en intrants (produits phytosanitaires, fertilisants, machines agricoles, etc.)’’. Importations lourdes et risquées Cependant la flambée des prix ces dernières années remet en question ce raisonnement et rend plus dangereuse la dépendance vis-à-vis d’autres pays pouvant souffrir, eux aussi, d’aléas climatiques ou autres (incendies en Russie, sécheresse aux USA, inondations en Australie). Le Maroc importe actuellement, bon an mal an, entre 20 et 40 millions de quintaux par an (record : 67 Millions qx en 2007-08), coûtant de 6 à 12 milliards de dhs sinon plus. Un calcul simple montre que ces tonnages représentent, en année moyenne, 4 quintaux/ha sur les 5 Mha emblavés annuellement (plus en cas de mauvaise campagne). Le rapport du cinquantenaire indique que le rendement moyen au Maroc a augmenté de 1 quintal tous les 10 ans alors qu’en France par exemple, la croissance a été 10 fois plus élevée (1 ql/an). La plupart des professionnels et agronomes marocains (et même les études faites pour le compte de la FAO) pensent qu’il existe un potentiel important d’amélioration des performances et qu’il est possible de réduire le déficit céréalier en gagnant tout ou partie de ce manque. Le recours aux grandes exploitations dans le cadre du partenariat public privé ne constitue pas, à lui seul, la solution à cette problématique. Il faut rappeler que 92% des céréales sont cultivées en zones à agriculture pluviale (bour), alors que l’irrigué stagne à 400.000 ha depuis plus de 20 ans. Obstacles à la modernisation du secteur Les freins à cette éventuelle amélioration sont identifiés et les moyens de les dépasser le sont aussi. Ainsi, on peut pointer du doigt les principales faiblesses de la filière : - Structure foncière : La grande majorité des exploitations (environ 80%) ont une superficie de moins de 5 ha, exploitant seulement 24% de la SAU. En plus, elles sont enclavées, morcelées, endettées, assurant des revenus faibles et aléatoires, ce qui n’encourage pas la réalisation des investissements nécessaires (matériel, intrants, infrastructures d’élevage –locaux ou bétail-, …) ainsi que l’accès aux crédits. - Plus de la moitié de la production céréalière nationale est assurée par une agriculture ne respectant pas un itinéraire technique approprié d’où une faible productivité et une qualité peu satisfaisante - Les petits producteurs (la majorité) n’ont pas d’objectif productiviste mais essaient de survivre grâce à une combinaison de grande culture et d’élevage ainsi que d’autres activités permettant à la famille d’assurer des moyens de subsistance. - Insuffisance des subventions, indispensables pour la modernisation du système de production, et complications administratives les rendant quasi inaccessibles (sachant que l’agriculture mondiale ne subsiste que grâce aux soutiens publics). - Insuffisance de la recherche sur les aspects autres que la création variétale - Absence d’encadrement (conseil, formation, sensibilisation, alertes) et de transfert de technologies sur la conduite des cultures. Les agriculteurs ont besoins d’informations concrètes et régulières permettant la prise de la décision adéquate au moment opportun. Ceci au moment où dans d’autre pays on a recours aux ordinateurs, bases de données en ligne, capteurs optiques dans les champs et observations satellitaires (télédétection) assurant des informations précises et actualisées afin de suivre l’état des cultures, de calculer avec une grande précision, les besoins en engrais, pour piloter les outils agricoles, ou détecter les symptômes de carences ou maladies (diagnostic), … Sans parler de conseils personnalisés (sur mesure), d’avertissements, d’informations interactives (via Internet ou téléphonie mobile), de toutes sortes de présences techniques sur le terrain (organismes de conseil) et d’OAD (outils d’aide à la décision). Facteurs agronomiques Parmi les insuffisances les plus marquées de l’itinéraire techniques, on peut citer : - Travail tardif et inapproprié du sol, - Alors que prédominent la monoculture, l’alternance entre céréales ou au mieux entre céréales et jachère, on note l’absence d’assolements rationnels et le manque de vision à long terme sur les cultures pouvant alterner avantageusement avec les céréales (légumineuses –protéagineuses-, oléagineuses, etc.). En cause, la rentabilité de ces cultures et l’emblavement de 5 Mha/an sur une SAU de 8,7 laissant peu de place aux autres soles. - Semis tardifs ne permettant pas de bénéficier de toutes les précipitations et des potentialités des variétés - Les semences sélectionnées ont été dopées ces dernières années par les subventions et les prix encourageants (la meilleure adhésion des producteurs est obtenue lorsque les prix sont plus proches du commun). Cependant, avec une utilisation sur 16% environs des superficies, les disponibilités restent inférieures aux besoins (1 M qx pour 5 Mha, soit 20 kgs/ha, alors qu’il faut entre 6 et 7 Mqx blés et orges confondus). Elles restent aussi handicapées, malgré les efforts consentis par la SONACOS, par les difficultés de distribution et le manque de connaissance par les céréaliculteurs, des propriétés des variétés (longueur du cycle, résistances, réaction à l’azote, …) pour leur permettre un bon choix. - Lutte très limitée contre les maladies fongiques en raison de la sous-estimation de l’impact positif des fongicides et des dégâts pouvant être occasionnés par ces maladies, coût du traitement, etc. Par ailleurs, les agriculteurs ignorent quelle variété est résistante et à quoi, et peuvent ainsi traiter même les variétés résistantes sans le savoir. Cependant, les principaux points faibles de la céréaliculture restent la sous-utilisation des engrais, la mécanisation insuffisante et l’insuffisance de la lutte contre adventices et maladies fongiques. Fertilisation Selon le recensement général de l’agriculture de 1996, seulement 20% des terres bour sont fertilisées alors que 80% sont cultivées sans aucun apport d’engrais. Et même pour les céréaliculteurs ayant recours aux engrais, les quantités utilisées demeurent largement en deçà des recommandations, aussi bien en fond qu’en couverture, ce qui explique en partie, la faiblesse des rendements obtenus. A noter que la fertilisation azotée influe sur la teneur en protéines du grain, et donc de la farine qui sert à fabriquer le pain ou les pâtes. Une étude le la FAO montre une sous utilisation par rapport aux besoins réels du pays, qui s’élèvent à environ 2,5 millions de tonnes et montre qu’il y a une liaison étroite entre prix et demande. Ainsi, chaque fois que les prix de vente de N, P2O5 et K2O baissent, il y a une hausse de la consommation de ces éléments fertilisants et vice versa. Elle indique aussi que les prix des céréales ont diminué continuellement comparativement à ceux des engrais, qui ne cessent d’évoluer à la hausse. ‘‘Cette situation va à l’encontre de l’amélioration de la situation sociale de l’agriculteur et entraîne un jugement négatif des agriculteurs sur la rentabilité de l’utilisation des engrais’’. Par ailleurs une étude de 2001 de IAV Hassan II, conclue que les aléas climatiques, dont principalement la pluviométrie, comptent parmi les facteurs les plus déterminants de la consommation des engrais. ‘‘L’analyse des corrélations entre la pluviométrie mensuelle et annuelle et la consommation des engrais en termes de produit et d’éléments nutritifs a fait ressortir que la consommation des UFs totales (unité fertilisantes) est fortement dépendante de la pluviométrie du mois d’octobre’’. Rappelons qu’en année moyenne (données des années 2004-2007, en l’absence de chiffres plus récents), les tonnages d’engrais utilisés sur tout le cycle tourne autour de 600 à 700.000 t (dont les 2/3 en fond et le 1/3 en couverture) soit entre 100 et 140 kg/ha (sur 5 Mha), sachant que pour obtenir un rendement moyen, un hectare de blé nécessite 3 à 4 fois plus. Cependant, il faut indiquer que ces apports d’engrais concernent essentiellement les blés (dur et tendre), alors que l’orge cultivée dans les zones de bour défavorable (2/3 du bour marocain) n’est presque pas fertilisée. Ainsi, si on rapporte aux superficies cultivées en blés (environ les 2/3 des céréales cultivées annuellement) ces quantités commercialisées d’engrais, la moyenne serait entre 180 et 210 kg/ha, ce qui reste encore largement insuffisant. En plus, l’utilisation insuffisante des engrais conduit à moyen et long terme, à l’appauvrissement des sols d’autant plus que la restitution de matière organique (paille) au sol est inexistante. Vu du côté des agriculteurs la fertilisation est mal comprise et beaucoup de fausses idées circulent surtout en l’absence d’analyses du sol et d’encadrement. La plupart d’entre eux ignorent même la notion d’unités fertilisantes en macro éléments N, P, et K (sans parler des micro et oligo éléments) et ne raisonnent la fertilisation qu’en terme de quintaux utilisés. De même, les agriculteurs qui pratiquent régulièrement la fertilisation des céréales, ont été perturbés par les années de sécheresse et hésitent à apporter suffisamment d’engrais de fond, ne sachant pas comment va se dérouler la campagne et comptant sur la fertilisation de couverture pour se rattraper en cas de fortes précipitations. Privatisation en vue de la SONACOS Par ailleurs, la commercialisation des engrais de fond est relativement bien maîtrisée, surtout depuis que la SONACOS a commencé à intervenir dans le secteur, entraînant une relative stabilité des prix et des réactions hostiles des commerçants. A l’opposé, le circuit de commercialisation des engrais de couverture permet à des intermédiaires (détaillants) d’augmenter les prix des engrais azotés dès la survenue des précipitations et l’augmentation de la demande, profitant de l’absence d’intervention des autorités par le contrôle et la fixation des prix. Au moment où l’OCP lance des formulations régionales plus adaptées, commercialisées par la SONACOS, les professionnels s’interrogent sur l’avenir du secteur des intrants au moment où se profile la privatisation de cette société, prévue pour 2011 dans le cadre de la politique de libéralisation et de désengagement progressif de l’Etat. En effet, malgré tous les reproches que les agriculteurs font régulièrement à cet organisme, il n’est pas sûr que des privés fassent mieux qu’une société nationale ayant pour objectifs l’intérêt de l’agriculture et non le profit en premier lieu. Besoins en engrais Les besoins en éléments fertilisants d’un hectare de blé sont calculés selon les objectifs de rendement. Ainsi, en l’absence d’analyse du sol, les besoins d’un hectare, selon les types de formulation des engrais, seraient de 3,5 à 6 quintaux d’engrais bruts au moins pour un rendement respectivement de 30 et 50 quintaux/ hectare. A l’échelle nationale, et pour les blés, représentant 2/3 des 5 Mha emblavés annuellement soit 3,3 Mha, les besoins seraient de 12 à 21 Mqx d’engrais càd environ 16 à 28 fois ce qui est commercialisé aujourd’hui. Rapport du cinquantenaire En 2006, a été publié un ‘‘Rapport du Cinquantenaire’’ qui a mobilisé de nombreuses compétences nationales et coûté des efforts considérables. Cependant, il a malheureusement été vite oublié et le débat qu’il a tenté d’engager n’a pas suivi. Faisant le point sur l’état d’avancement du Maroc depuis l’indépendance, ce rapport s’est articulé autour du «potentiel humain», et a analysé tous les aspect du développement du pays (économie, santé, éducation, emploi, gouvernance, etc). Malgré les autosatisfactions sur les réalisations du Maroc dans les domaines économique et social, ce rapport soulève les insuffisances et les défis auxquels le Maroc est appelé à faire face pour assurer un avenir meilleur aux générations à venir. En abordant l’activité agricole, le rapport n’a pas manqué de relever les principales insuffisances, en laissant toutefois la poursuite de l’action à d’autres responsables pour la recherche des solutions adéquates : - la croissance de l’économie est étroitement corrélée à la production agricole - les terres bour défavorable constituent la majorité de la SAU, qui représente 13% du territoire - l’assolement dominant est la culture de céréales, malheureusement à faible rendement - notre production céréalière est irrégulière et dépendante du facteur climatique - nous produisons la moitié de nos besoins en céréales et le 1/7 de nos besoins en huiles - nos rendements agricoles ne s’améliorent que très peu - notre secteur demeure faiblement mécanisé - dans le secteur agroalimentaire nos exportations couvrent de moins en moins nos importations - nous consommons près de 45 litres de lait par habitant et par an, avec une faible production des vaches laitières - la production de viandes blanches a été multipliée par 3 en 20 ans et la consommation a doublé, alors que celle des viandes rouges reste stable - les marocains consomment un million de tonnes de sucre et n’en produisent que la moitié contre les 2/3 au cours des années 1980 - évolution positive du secteur des primeurs - la production annuelle d’huiles végétales est à 36.000 t alors qu’elle dépassait les 100.000 - l’oléiculture est un secteur d’avenir avec extension soutenue des superficies et une production qui est passée de 433.000 t en 1980 à près d’un million de tonnes d’olives dont une partie assure au Maroc l’une des premières places mondiales dans l’export d’olive de table Le rapport souligne aussi ‘‘l’affaiblissement du secteur agricole eu égard, entre autres, aux contraintes de la mondialisation, ce qui intensifiera l’exode rural et aggravera le développement anarchique des villes et de leurs périphéries et exercera une pression forte sur le marché du travail.’’ En conclusion, pour 2025 le rapport prévoit que si le Maroc ne parvient pas, dès maintenant, à agir pour dépasser ses goulets d’étranglement et transformer les noeuds du futur [décrits dans le rapport] en véritables leviers de développement, c’est à un scénario régressif qu’il risque d’être confronté

Source : Agriculture du Maghreb