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Accaparement des terres: Au-delà du rideau de fumée
(02/03/2011)
La Banque Mondiale s’est récemment décidée à publier son rapport très attendu sur l’accaparement des terres agricoles au niveau mondial. Après des années de travail, plusieurs mois de négociations politiques et des dépenses dont on ne connaît pas l’ampleur, le rapport a négligemment été publié sur le site web de la Banque, en anglais seulement. Ce rapport constitue à la fois une déception et un échec. Tout le monde s’attendait à ce que la Banque fournisse des données de terrain nouvelles et indiscutables sur ces « acquisitions foncières à grande échelle » (pour reprendre sa terminologie) qui suscitent tant de controverses depuis 2008. Pourtant, il n’y pas grand-chose de nouveau dans ce document de plus de 160 pages. La Banque avait annoncé qu’elle allait étudier concrètement 30 pays, mais le rapport n’en aborde que 14. Il s’avère en fin de compte que des entreprises ont refusé de communiquer des informations sur leurs investissements dans des terres agricoles, tout comme des gouvernements qui fournissent les terres. Des résultats qui font peur Un « énorme » mouvement d’accaparement des terres dans le monde est engagé depuis les crises alimentaire et financière de 2008, et il ne trahit aucun signe de ralentissement. La Banque indique que les 463 projets qu’elle a dénombrés entre octobre 2008 et juin 2009 représentent une superficie d’au moins 46,6 millions d’hectares et que la majorité de ces terres sont situées en Afrique subsaharienne. Les comptes rendus d’enquête de terrain ont confirmé que 21% de ces projets sont « en exploitation », plus de la moitié en sont à un stade de « développement initial » et près de 70% ont été « approuvés ». La Banque minimise l’importance de ces chiffres et y voit la preuve que l’accaparement des terres relève plus du battage médiatique que de la réalité. Nous pensons, au contraire, qu’ils démontrent que beaucoup de projets vont de l’avant, d’autant plus que les données de la Banque sont dépassées, puisque de nouvelles transactions sont conclues régulièrement. La conclusion générale du rapport est que des investisseurs profitent d’une « faiblesse de la gouvernance » et d’une « absence de protection légale » des communautés locales pour expulser les populations de leurs terres. De plus, elle constate que les investissements ne rapportent presque rien aux communautés touchées en termes d’emplois ou d’indemnisation, sans même parler du problème de la sécurité alimentaire. Le message que nous pouvons en retirer est que pratiquement nulle part, dans les pays et les situations étudiés par la Banque, il n’y a de quoi se réjouir. De nombreux investissements n’ont pas répondu aux attentes et, au lieu d’amener des bénéfices durables, ils ont contribué à une perte d’actifs et ont laissé les populations locales dans une situation pire que ce qu’elle aurait été en l’absence de ces investissements. En fait, même si un effort a été fait pour couvrir un large éventail de situations, les études de cas confirment que dans de nombreux cas les bénéfices ont été inférieurs à ce qui avait été prévu ou ne se sont tout simplement jamais concrétisés. En fait, le rapport est plus intéressant par ses omissions que par son contenu. Si la Banque avait réellement voulu faire toute la lumière sur cette tendance des investissements, elle aurait au moins levé un coin du voile à propos des investisseurs. Qui sont-ils ? Quels sont leurs objectifs ? Quelle est la proportion des investissements privés ou publics ? Sans informations de ce type, l’analyse ne peut aller bien loin. Le fond du problème Il y a un énorme décalage entre ce que dit la Banque mondiale, ce qui se passe sur le terrain et ce qui est vraiment nécessaire. À l’heure actuelle, de nombreux gouvernements et organisations de la société civile demandent à ce qu’on mette un frein à ces transactions. L’Australie, l’Argentine, le Brésil, la Nouvelle Zélande et l’Uruguay sont quelques uns des pays qui débattent actuellement d’introduire, aux plus hauts niveaux politiques, des restrictions sur les acquisitions de terres agricoles par des entités étrangères. L’Égypte fait partie de ceux qui essaient de rester fermes et veulent continuer de restreindre les nouveaux programmes d’investissements dans les terres agricoles aux investisseurs du pays. Pour beaucoup, pour ce qui ne relève pas de la xénophobie, cette situation amène, ou pourrait amener à la mise en place de nouvelles formes ou expressions de la souveraineté sur la terre, l’eau et l’alimentation à un moment où s’exerce une formidable pression sur ces trois ressources. Par ailleurs, de nombreuses organisations d’agriculteurs, des universitaires, des groupes de défense des droits de l’homme, des réseaux d’ONG et des mouvements sociaux exigent toutes sortes de moratoires et d’interdictions pour mettre fin à cet accaparement des terres. Pendant ce temps, l’appétit des investisseurs privés pour l’acquisition de terres agricoles ne fait que se renforcer. Source : farmlandgrab
Source : Agriculture du Maghreb