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Les réseaux d’eau anciens Ressuscitent en Méditerranée

(01/06/2011)

Des années de sécheresse avaient tari les réseaux d’eau anciens du pourtour Méditerranéen. Mais avec le retour de la pluie depuis 5 ans, le patrimoine hydraulique renaît. L’eau chante comme les noms des ouvrages dans lesquels elle coule à nouveau : khettaras au Maroc, foggaras en Algérie ou encore qanâts en Iran, les galeries drainantes souterraines constituent l’exemple le plus caractéristique et le plus original de cette reconquête des installations ancestrales par les populations locales. Comme le montrent des chercheurs de l’IRD et leurs partenaires1, ces « mines d’eau » en plein désert qui avaient été en majorité abandonnées sont aujourd’hui réhabilitées par les habitants des oasis. Ces derniers réinvestissent désormais dans la maintenance des khettaras et dans l’agriculture, en particulier les jeunes qui reviennent en milieu rural face au chômage auquel ils sont confrontés en ville. Un pari risqué face à l’incertitude climatique, mais assumé pour relancer l’action collective et se réapproprier les règles d’accès à l’eau, en vue justement d’une nouvelle pénurie possible dans les années à venir. Tout autour du bassin Méditerranéen, le patrimoine hydraulique ancestral est en train de renaître. Depuis 5 ans, le retour de l’eau redonne leurs quartiers de noblesse aux ouvrages anciens. Les populations locales réinvestissent ces équipements, abandonnés pendant les années de sécheresse. Parmi ceux-ci, les systèmes les plus caractéristiques de ce renouveau, les plus originaux et les plus élaborés, demeurent les galeries drainantes souterraines2, connues depuis l’Antiquité sous le nom de khettaras au Maroc, de qanât en Iran ou encore de foggaras en Algérie. Ces sortes de mines d’eau sont issues d’une technique ancestrale, développée à grande échelle à partir du XIIe siècle au Maghreb pour créer artificiellement les oasis sahariennes. Une haute technicité pour des ouvrages séculaires Comme leur nom l’indique, les galeries permettent de drainer l’eau de la nappe phréatique. Le principe de construction témoigne d’un savoir manifeste et relève d’une grande maîtrise technique. Il consiste à creuser dans un relief une galerie souterraine, jusqu’à intercepter une nappe d’eau peu profonde (voir schéma). Légèrement pentue vers l’aval, la conduite permet alors d’amener l’eau de l’aquifère par gravité jusqu’à la sortie au pied du relief, avec un débit à peu près constant. Depuis la surface du sol, seul l’alignement des petits cônes de terres caractéristiques sur plusieurs kilomètres témoigne de l’existence de tels ouvrages sous nos pieds : ce sont les puits successifs d’évacuation des déblais qui jalonnent la conduite, distants de 30 m environ, et servent ensuite d’accès pour l’entretien de cette dernière. L’exemple du Maroc Les galeries peuvent atteindre 5 à 20 km de long sur 2 à 4 m de haut et à peine 50 cm de large, comme dans la province du Tafilalet au Maroc, dans la région de Meknès, où se sont focalisés plus précisément les travaux des chercheurs et où les khettaras ont été le mieux conservées. Au total, 450 ont été recensées dans cette zone. Creusées de la fin du XVIIIe ou le début du XIXe siècle jusqu’en 1950, elles ont permis à une population de près de 600 000 habitants, dont 75 % vivent principalement de l’agriculture, de se développer dans cette vaste région au pied de l’Atlas, enserrée entre la montagne et le Sahara. Le renouveau des galeries Mais au cours de la seconde moitié du siècle dernier, la modernisation de l’hydraulique publique, avec notamment la construction de barrages, et l’essor de forages privés ont fragilisé les khettaras. Ces réseaux modernes sont venus se superposer aux ouvrages traditionnels, sur le mode du renfort ou de la concurrence, et un grand nombre de galeries drainantes ont été mises hors service. Puis les grandes sécheresses qui ont sévi dans les années 1970 et de 1995 à 2005 sont venues tarir à leur tour le système des khettaras. Il y a cinq ans, seules quelques dizaines de galeries étaient encore en activité permanente. Mais depuis mai 2006, la pluie abondante et régulière est de retour. La nappe alimente à nouveau la zone amont du captage de certaines galeries qui avaient été partiellement ou totalement abandonnées. Les habitants ont alors entrepris de les réhabiliter. En cinq ans, à Jorf, dans l’ouest du Tafilalet, près de 50 conduites ont été remises en état de marche grâce à ces initiatives collectives. Désormais, les autorités hydrauliques et politiques locales et régionales oeuvrent également dans ce sens et proposent un schéma de réhabilitation des khettaras. Ce nouvel essor de leur patrimoine hydraulique permet aux populations de réinvestir dans l’agriculture oasienne, et en particulier aux jeunes revenus de la ville suite notamment aux problèmes de chômage rencontrés en milieu urbain. De fait, depuis peu, de nombreux jeunes gens regagnent les oasis pour s’investir dans la restauration et la maintenance des khettaras. A l’instar des habitants des oasis, les populations tout autour de la Méditerranée réhabilitent les réseaux anciens de distribution de l’eau, comme celles du Haut-Atlas marocain, des Alpes, des Pyrénées ou encore de la montagne libanaise qui font revivre les étonnants paysages de terrasses qu’elles ont façonnés au cours des siècles passés. Néanmoins une incertitude demeure : le retour de l’eau est-il durable ? Difficile de l’affirmer pour les scientifiques. Mais c’est bien là le pari des sociétés rurales. Ne voulant plus d’exploitations individuelles des eaux souterraines par des pompages incontrôlables, elles relancent l’action collective en vue d’établir une nouvelle justice de l’accès à l’eau…dans la perspective d’un nouveau manque d’eau possible dans les années futures. ---------------------- 1. Ces travaux ont été réalisés en partenariat avec des enseignants-chercheurs de l’université Cadi Ayyad de Marrakech et de la faculté des lettres et sciences humaines d’Agadir. 2.Une demande d’inscription des khettaras au patrimoine matériel et immatériel de l’humanité a été suggérée auprès de l’Unesco dans le cadre de la journée « eau et culture » du 9 décembre 2010. Gaëlle Courcoux, IRD, Institut de recherche pour le développement

Source : Agriculture du Maghreb