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Tomate Une segmentation par le goût !

(16/01/2012)

La tomate est le second légume consommé en France et en Europe. Présente toute l’année sur les étals, elle exige cependant une valorisation qualitative permanente pour conserver l’estime des consommateurs. L’arrivée de tomates cerise, cocktail ou de variétés anciennes sur le marché a permis d’offrir une segmentation de l’offre et de modifier l’image d’un produit qui était banalisé. Le distributeur dispose aujourd’hui d’un large éventail de segmentation de son produit en rayon. Reste que la diversité sensorielle demeure toujours difficile à rendre identifiable auprès du consommateur. En effet, beaucoup de professionnels pensent que la différenciation et la segmentation horizontale du produit tomate, par la variété, la forme ou encore la couleur, sans repérage gustatif, ont jusqu’à présent surtout contribué â noyer le consommateur sans forcément générer une croissance stable du marché. Or, le consommateur, toujours plus exigeant, attend que ce produit gagne en qualité gustative et lui apporte des garanties nutritionnelles (richesse en antioxydants par exemple). Cependant, vendre des tomates avec du goût à prix accessible nécessite d’améliorer la production, ce qui reste difficile en l’absence de références agronomiques sur les variétés potentiellement intéressantes. En France, beaucoup de producteurs se sont tournés vers des variétés anciennes, manquant de fermeté, mais réputées gustatives et dont les caractéristiques sont peu connues. On sait aussi que, selon le mode de culture la variété n’exprimera pas son potentiel gustatif de la même façon. Il est donc nécessaire d’avancer dans la connaissance de ces interactions. Des chercheurs de l’INRA en France ont ainsi comparé 43 variétés anciennes ou hybrides plus récentes et évalué leur comportement agronomique (rendement, défauts apparents, échelonnement des récoltes, sensibilité aux maladies, etc) et leur qualité gustative dans différentes conditions de restrictions d’intrants (eau, azote). Résultat : la qualité s’améliore avec la baisse des rendements de 15 à 45 %. Cette relation s’exprime cependant de manière contrastée d’une variété à l’autre. Ainsi, certaines tomates anciennes réputées peu productives peuvent produire plus que des hybrides. A l’inverse, selon les conditions de culture, certaines d’entre elles ne sont pas meilleures que les hybrides les plus goûteux. Les essais concernent également les modes de conduite à définir pour obtenir un rendement intéressant, en déterminant les rotations de cultures les plus appropriées aux différentes situations pédo-climatiques et en fonction des risques de maladie. Car l’apparition de maladies liées au sol (corky root, fusariose...) est favorisée par la répétition des mêmes cultures sur les parcelles. Par ailleurs, la tomate est produite dans des conditions environnementales très variées (de la serre hors sol en production intensive et continue à la culture estivale de plein champ) et s’achemine jusqu’aux consommateurs via des canaux diversifiés. A noter que la qualité gustative de la tomate dépend également des conditions de maintien de la qualité après récolte. C’est pour cette raison que les approches génétiques et agronomiques doivent être couplées à des recherches pour maintenir la qualité du produit après récolte auprès des distributeurs. En effet, les conditions de stockage le long du circuit de distribution sont souvent préjudiciables à la préservation des arômes et de la texture du produit, qualité à laquelle les consommateurs sont attachés. Dans cet objectif, un travail sur différents génotypes a été mené, révélant des variations dans l’intensité de l’impact positif des basses températures sur la préservation de la texture et négatif sur les arômes. Enfin, l’analyse économique de l’évolution des prix des différents segments de la tomate a révélé des résultats prometteurs qui permettent d’envisager une segmentation plus fine du marché de la tomate sous son aspect gustatif, dans un souci de répondre conjointement aux producteurs désireux de valoriser économiquement l’originalité de leurs produits et à une demande sociale de produits de qualité. La phase qui précède la maturation de la tomate est très importante. Le calibre des fruits par exemple dépend à la fois du nombre de cellules, qui est fixé dans les premiers jours qui suivent la fécondation, et de leur taille qui n’évolue plus dès que la maturation commence. Le goût et les arômes sont également très influencés par cette phase car elle conditionne l’accumulation des sucres et des acides organiques mais aussi de certains précurseurs d’arômes. Les chercheurs travaillent sur les mécanismes biochimiques et moléculaires qui régissent ces phénomènes. Parallèlement, nous identifions aussi des gènes qui interviennent dans la transition fleur-fruit et dans la croissance du fruit, très liée à la division cellulaire. La tomate a la capacité de faire grossir ses cellules en continuant à y synthétiser de l’ADN tout en bloquant leur division. Certaines d’entre elles peuvent avoir des milliers de fois leur taille initiale. Comment la tomate nous protège-t-elle ? Les maladies cardiovasculaires et les cancers sont les premières causes de mortalité dans les pays développés. Or, de nombreuses études épidémiologiques font ressortir une relation inverse entre l’incidence de certaines de ces pathologies et la consommation d’antioxydants contenus dans les fruits et légumes, en particulier la tomate. Cependant, les mécanismes en question ne sont pas encore assez documentés pour améliorer les recommandations nutritionnelles ou concevoir des aliments plus protecteurs. Le sujet est complexe et les nombreuses molécules à analyser nécessitent un gros effort de recherche. Depuis quatre ans, le projet européen Lycocard s’attache à comprendre et quantifier les effets protecteurs du lycopène, le pigment qui donne sa couleur rouge intense à la tomate, contre les maladies cardiovasculaires. Regroupant quinze partenaires parmi lesquels des scientifiques de plusieurs disciplines, des industriels transformateurs et une association de patients, ce consortium développe l’approche globale qui a fait défaut jusqu’ici pour comprendre les effets biologiques de ce puissant antioxydant. Deux unités de l’Inra France y participent. L’UMR Nutrition lipidique et prévention des maladies métaboliques de Marseille réalise des études in vitro et in vivo sur l’activité biologique du lycopène ainsi que des études cliniques. A Avignon, l’UMR Sécurité et qualité des produits d’origine végétale (SQPOV) se focalise sur les propriétés physico-chimiques de la molécule et de ses dérivés. Au niveau fondamental, il s’agit de comprendre le métabolisme et les mécanismes moléculaires impliqués dans les effets protecteurs du lycopène. Ces résultats donneront ensuite des applications finalisées. Un transfert de ces résultats vers les industriels permettra de produire des aliments à la valeur santé améliorée tandis que les pouvoirs publics et les associations de patients accèderont à des recommandations nutritionnelles plus précises et fondées scientifiquement. D’ores et déjà, Lycocard a permis de nettes avancées. Ainsi, l’équipe de l’unité SQPOV a pu synthétiser et purifier de nombreux dérivés du lycopène qui diffèrent par leur structure chimique. Ils ont ensuite été testés sur différents modèles expérimentaux afin d’établir une relation entre la structure des molécules et leur activité antioxydante. De son côté, l’équipe de Marseille a permis de mieux comprendre la biodisponibilité du lycopène. Les chercheurs ont démontré qu’un transporteur intestinal intervenait dans le transport jusqu’au sang des antioxydants. Par la suite, ils ont observé un lien entre la concentration en antioxydant dans le sang et les variations du gène codant pour ces transporteurs. Cela pourrait expliquer les différences de capacité d’absorption entre individus et ouvrir la voie à des conseils nutritionnels plus ciblés. Par ailleurs, les effets de la transformation des tomates (sauces, conserves, plats cuisinés) sur les teneurs et la biodisponibilité du lycopène sont également analysés par des partenaires de Lycocard. La molécule est en effet plus facilement absorbée sous forme de purée ou de sauce que depuis une tomate fraîche. Une plateforme industrielle de transfert de connaissance a vu le jour et déjà trois produits aux qualités nutritionnelles améliorées sont en cours de test épidémiologique à Marseille. Les pistes de recherches à explorer sont encore nombreuses. Ainsi, en plus de son activité antioxydante, le lycopène a également des effets sur la capacité des cellules à communiquer entre elles. Ce qui pourrait être un autre mécanisme biologique important dans son rôle protecteur.

Source : Agriculture du Maghreb