Actualité
Ruée vers l’or bleu en Afrique : Derrière chaque accaparement de terres, un accaparement de l’eau
(11/12/2012)
Derrière la recherche frénétique de terres qui se déroule actuellement en Afrique se développe une lutte mondiale pour une ressource qui apparaît de plus en plus comme plus précieuse que l’or ou le pétrole : l’eau. Sans eau, pas de production alimentaire. En Afrique, une personne sur trois souffre de la pénurie d’eau et le changement climatique va encore aggraver les choses. Les savoirs locaux sur les systèmes extrêmement sophistiqués de gestion de l’eau en Afrique pourraient contribuer à résoudre la crise qui se développe, mais ce sont justement ces systèmes qui sont actuellement détruits par un accaparement des terres à grande échelle au prétexte que sur ce continent l’eau est abondante, sous-utilisée et prête à être exploitée pour une agriculture tournée vers l’exportation. L’Alwero, une rivière de la région éthiopienne de Gambela, représente à la fois une identité et un moyen de subsistance pour le peuple autochtone des Anuak, qui pratiquent depuis des siècles la pêche dans ses eaux et l’agriculture sur ses berges et les terres environnantes. Certains Anuak sont des éleveurs nomades, mais la plupart sont des agriculteurs qui se déplacent vers des zones plus sèches à la saison des pluies avant de revenir sur les berges de la rivière. Ce cycle agricole saisonnier permet d’entretenir et de maintenir la fertilité du sol. Il permet également de structurer la culture autour de la répétition collective de pratiques agricoles traditionnelles en lien avec les pluies et les crues dans la mesure où chaque communauté s’occupe de son propre territoire et des eaux et terres agricoles qui en font partie. Une nouvelle plantation dans la région de Gambela, propriété d’un milliardaire saoudien, est irriguée avec de l’eau prélevée dans la rivière Alwero. Des milliers de personnes dépendent de l’eau de cette rivière pour leur survie, et les projets d’irrigation industrielle pourraient mettre en péril l’accès à cette ressource. En avril 2012, les tensions autour du projet ont entraîné des débordements quand un groupe armé a tendu une embuscade à des employés de la compagnie saoudienne ayant abouti à la mort de cinq personnes. Ces tensions dans le sud-ouest de l’Éthiopie illustrent l’importance cruciale de l’accès à l’eau dans la ruée mondiale vers les terres agricoles. Derrière la recherche frénétique actuelle de terres se déroule une bataille mondiale pour le contrôle de l’eau. Ceux qui ont acheté de vastes étendues de terres agricoles ces dernières années, qu’ils soient basés à Addis Abeba, Dubai ou Londres, comprennent bien que l’accès à l’eau qu’ils acquièrent, souvent gratuitement et sans restriction, pourrait très bien rapporter plus à long terme que les achats de terres eux-mêmes. Au cours des dernières années, des sociétés saoudiennes ont acheté des millions d’hectares à l’étranger pour produire des denrées alimentaires qui sont ensuite réimportées en Arabie saoudite. L’Arabie saoudite ne manque pas de terres pour la production alimentaire. Ce qui manque dans le Royaume, c’est l’eau, et ses entreprises vont la chercher dans des pays comme l’Éthiopie. Des sociétés indiennes comme Karuturi Global, basé à Bangalore, font la même chose. Dans le sous-continent indien, les nappes souterraines ont été épuisées par des décennies d’irrigation non soutenable. La seule façon de nourrir la population croissante de l’Inde serait, soi-disant, de délocaliser la production alimentaire à l’étranger où l’eau est plus abondante. « Ce ne sont pas les terres qui ont de la valeur », estime Neil Crowder, de la société britannique Chayton Capital qui a acheté des terres agricoles en Zambie. « La vraie valeur est dans l’eau» et des sociétés comme Chayton Capital pensent que l’Afrique est le meilleur endroit pour trouver cette eau. Le message répété à l’envie dans différentes conférences d’investisseurs dans le monde entier est que l’eau est abondante en Afrique. On explique que les ressources en eau de l’Afrique sont très sous-utilisées et qu’elles sont prêtes à être exploitées par des projets agricoles axés sur l’exportation. La réalité est qu’un tiers des Africains vivent déjà dans des environnements où l’eau est rare et le changement climatique va probablement fortement aggraver cette situation. De grandes transactions sur les terres agricoles pourraient priver des millions de personnes de leur accès à l’eau et faire peser le risque d’un épuisement des ressources en eau douce les plus précieuses du continent. La totalité des transactions foncières en Afrique portent sur des activités agricoles à l’échelle industrielle qui vont consommer d’énormes quantités d’eau. La quasi-totalité d’entre elles sont situées dans de grands bassins fluviaux permettant un accès à l’irrigation. Elles occupent des zones humides fertiles et fragiles, ou sont situées dans des zones plus arides où l’on peut puiser de l’eau dans des grands fleuves. Dans certains cas, les exploitations agricoles pompent directement dans la nappe phréatique. Ces ressources en eau sont vitales pour les agriculteurs locaux, les éleveurs nomades et les autres communautés rurales. Beaucoup ne disposent déjà pas d’un accès à l’eau suffisant pour assurer leurs propres moyens d’existence. Si l’on peut tirer un enseignement du passé, c’est que les méga-systèmes d’irrigation ne peuvent que mettre en péril les moyens d’existence de millions de personnes dans les communautés rurales et menacer les ressources en eau douce de régions entières. Quand le Nil se retrouve à sec… Peu de pays africains ont suscité autant d’intérêt de l’étranger pour leurs terres agricoles que ceux qui sont traversés par le Nil. Le Nil, le fleuve le plus long d’Afrique, représente une ressource vitale, particulièrement pour l’Égypte, le Soudan du Sud, le Soudan et l’Ouganda, et il est déjà à l’origine de tensions géopolitiques importantes exacerbées par les nombreux projets d’irrigation de grande ampleur dans la région. En 1959, la Grande Bretagne a négocié un accord colonial qui partageait les droits sur l’eau entre le Soudan et l’Égypte. L’Égypte y a davantage gagné que le Soudan, tandis que d’autres pays en ont été complètement exclus. L’Égypte s’est vu accorder les trois quarts du débit annuel moyen tandis que le Soudan en a reçu un quart. D’énormes systèmes d’irrigation ont été construits dans les deux pays pour cultiver du coton destiné à l’exportation vers le Royaume-Uni. Dans les années 1960, l’Égypte a bâti le puissant barrage d’Assouan pour réguler le débit du Nil en Égypte et développer les possibilités d’irrigation. Le barrage a tenu ses objectifs mais il a aussi bloqué l’écoulement des nutriments et des minéraux qui fertilisaient les terres des agriculteurs égyptiens en aval. Mais la réalité du commerce de l’eau virtuelle est radicalement différente. L’Europe, qui n’est pas connue comme un continent particulièrement sec, est l’un des principaux importateurs mondiaux d’eau virtuelle, souvent à partir de régions qui sont régulièrement soumises à des périodes de sécheresse et de pénuries d’eau. Pour le Royaume-Uni, on estime que deux-tiers de l’eau qui subvient aux besoins de la population arrive incorporée dans des aliments, des vêtements et des biens industriels importés. C’est pourquoi, quand les gens achètent des fleurs du Kenya, du bœuf du Botswana ou des fruits et légumes d’autres régions d’Asie et d’Amérique Latine, ils aggravent potentiellement la sécheresse et compromettent les efforts de ces pays visant à cultiver des aliments pour leurs propres populations. Source : GRAIN L’eau virtuelle L’agriculture représente l’utilisation la plus importante de l’eau douce dans le monde. Dans de nombreux pays, la production d’aliments et d’autres produits agricoles représente plus de 80 % de l’utilisation de l’eau douce. Les experts appellent cela de l’« eau virtuelle » : la quantité d’eau qui est intégrée dans les aliments ou les autres produits nécessaires à leur production. Les quantités sont énormes. Par exemple, pour produire un kilogramme de blé, il faut environ 1 000 litres d’eau, et par conséquent la quantité d’eau virtuelle pour ce kilo de blé est de 1000 litres. Pour la viande, il faut environ cinq à dix fois plus d’eau. Pour produire assez de grains de café pour une tasse de café, il faut 140 litres d’eau. La quantité d’eau nécessaire pour cultiver assez de coton pour produire un seul blue-jean atteint le chiffre incroyable de 5 400 litres. Le commerce des produits agricoles revient donc finalement à un commerce d’eau virtuelle. Les économistes néolibéraux affirment que le commerce international des produits agricoles est la solution la plus efficace pour économiser l’eau, car les cultures peuvent être cultivées là où les besoins en eau sont inférieurs, par ex. dans les pays où l’irrigation n’est pas nécessaire parce qu’il pleut beaucoup.
Source : Agriculture du Maghreb