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La faim dans
le monde, alibi pour le développement des OGM

(11/12/2012)

Les débats suscités par la récente publication de Séralini et ses collègues ont été l’occasion de présenter les OGM comme une solution potentielle à la faim dans le monde. En tant qu’agronomes et spécialistes des questions de sécurité alimentaire, nous ne pouvons pas laisser croire que les OGM sont la voie pour nourrir l’humanité, fut elle de 9 milliards d’individus en 2050, voire 12 milliards dans les scénarios les plus pessimistes. Au premier rang des avantages attendus des OGM est mise en avant leur potentielle contribution à l’accroissement de la production. Cela soulève une première question : le problème de la faim dans le monde est il vraiment un problème de production insuffisante ? Comme l’ont montré de nombreux travaux sur l’insécurité alimentaire, le problème est d’abord celui de l’accès à l’alimentation par les individus, c’est-à-dire l’accès à la terre ou à des revenus, et une question de démocratie, bien avant d’être un problème de quantités produites. Les niveaux de production actuels sont déjà suffisants pour nourrir la planète. L’équivalent de 4 972 calories par habitant est produit par jour en moyenne dans le monde sous forme de productions végétales, mais seule environ la moitié (2 468 calories par jour et par habitant en moyenne) arrive dans les assiettes des consommateurs du monde. Une très grande partie des quantités produites est utilisée pour nourrir les animaux d’élevage intensif, transformées en biocarburants ou encore gaspillées, que ce soit après la récolte, dans les supermarchés, ou au sein des foyers. Une deuxième question surgit : Les OGM sont-ils une solution pour produire davantage dans les pays concernés par l’insécurité alimentaire ? Les observations dans les champs des agriculteurs des pays en voie de développement montrent que les rendements obtenus ne sont pas limités par les caractéristiques des espèces et des variétés qu’ils cultivent, mais d’abord par leur faible recours aux fertilisants organiques et minéraux. C’est souvent ce manque de fertilisation qui favorise l’infestation des cultures par les mauvaises herbes et les rend sensibles aux maladies. Il serait ainsi déjà possible d’augmenter ces rendements, en mettant simplement en œuvre les principes classiques de l’agronomie : gestion de la fertilité des sols et des successions de culture. On pourra même aller plus loin dans l’amélioration des rendements avec une meilleure maîtrise du fonctionnement intime des écosystèmes cultivés, en tirant profit notamment des synergies qui peuvent exister entre espèces biologiques, au service d’une production économe en fertilisants et pesticides. D’autres marges de manœuvre sont également importantes dans la maîtrise de l’eau ou dans l’amélioration des conditions de stockage post-récolte. Et une troisième : Si des technologies existent déjà pour augmenter les rendements dans ces régions, pourquoi ne sont-elles pas mises en œuvre dès maintenant par les agriculteurs pauvres ? Parce qu’ils sont pauvres, justement, et qu’ils ne disposent pas du minimum de moyens pour investir dans la fertilité de leurs sols, dans des aménagements pour mieux tirer parti de l’eau, dans des moyens de stockage plus performants. Plus généralement, ils ne disposent pas de la capacité financière qui les autoriserait, comme le font les agriculteurs des pays industrialisés, à viser des objectifs de production élevés, rémunérateurs à condition de pouvoir se prémunir contre les risques que ces objectifs impliquent. Les marchés qui leur sont potentiellement accessibles ne rémunèrent pas suffisamment ou de manière trop incertaine leur travail ou leurs investissements pour avoir un effet incitatif. De plus, l’accès au crédit leur est le plus souvent difficile, voire impossible. Enfin, les solutions mentionnées ici verraient sans doute leurs effets renforcés par la diffusion de variétés de plantes améliorées, mais là encore, d’autres techniques que les OGM sont disponibles. Des variétés améliorées par sélection et/ou hybridation «classiques», qui peuvent être associées à des changements des systèmes de culture, peuvent permettre d’augmenter la production. Bien qu’elle paraisse démodée aux yeux de certains, l’amélioration semencière classique présente un double avantage : elle est plus accessible à la plupart des pays du monde et plus flexible pour adapter les plantes cultivées à la multitude des contextes locaux. Rien n’indique donc que nous ayons besoin des OGM pour alimenter le monde. En revanche, nous avons besoin de prendre le temps de la recherche pour en peser les avantages, les inconvénients et les risques, et de poser plus clairement la question des contextes économiques, politiques et sociaux dans lesquels ces nouvelles technologies sont mobilisées. Source : www.liberation.fr

Source : Agriculture du Maghreb