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Volatilité des prix et crises alimentaires

(04/04/2011)

La tribune de Jacques Diouf, directeur général de la FAO L’histoire est-elle un éternel recommencement? Nous sommes, en effet, à la veille de ce qui pourrait être une nouvelle crise alimentaire majeure. L’indice FAO des prix des denrées alimentaires à la fin de l’année 2010 est revenu à son plus haut niveau. La sécheresse en Russie et les mesures restrictives à l’exportation adoptées par le gouvernement ainsi que les récoltes moins abondantes que prévu aux États-Unis et en Europe, puis en Australie et en Argentine, ont été les facteurs de déclenchement d’un processus de flambée des prix des produits agricoles sur les marchés internationaux. Certes, la situation actuelle est différente de celle de 2007-2008, bien que les phénomènes climatiques récents risquent de réduire sensiblement les productions agricoles de la saison prochaine. Les hausses des prix touchent surtout les secteurs du sucre et des oléagineux et moins celui des céréales qui constituent 46% de la consommation calorique au niveau mondial. Les stocks de céréales qui étaient de 428 millions de tonnes en 2007/08 s’élèvent actuellement à 525 millions de tonnes. Ils subissent, cependant, de forts prélèvements pour répondre à la demande. Cependant, la hausse et la volatilité des prix vont continuer dans les années à venir si on ne s’attaque pas aux causes structurelles du déséquilibre du système agricole international. Nous continuons toujours de réagir au niveau des facteurs conjoncturels et donc de faire de la gestion de crises. Si les tendances actuelles se maintiennent, l’objectif fixé par les dirigeants de la planète de réduire de moitié le nombre des personnes qui ont faim dans le monde à l’horizon 2015 ne sera atteint qu’en 2150. Malgré les avertissements, il n y a pas eu de changement décisif de politique depuis 1996. Pourtant, aujourd’hui encore, près d’un milliard de personnes souffrent de la faim dans le monde. Nous devons donc rappeler avec force les conditions d’un approvisionnement suffisant en produits alimentaires d’une population qui ne cesse de croître et qui va nécessiter, au cours des quarante prochaines années, une augmentation de 70% de la production agricole dans le monde et de 100 % dans les pays en développement. Il y a d’abord la question des investissements: la part de l’agriculture dans l’aide publique au développement (APD) est passée de 19% en 1980 à 3% en 2006, et se situe aujourd’hui aux alentours de 5%. Les investissements privés nationaux et étrangers, de l’ordre de 140 milliards de dollars par an, devraient être de 200 milliards de dollars. Ces chiffres sont à comparer avec les dépenses annuelles d’armement qui sont de 1 500 milliards de dollars. Il y a ensuite le commerce international des produits agricoles qui n’est ni libre ni équitable. Les pays de l’OCDE apportent un équivalent de soutien d’environ 365 milliards de dollars par an à leur agriculture, et les subventions ainsi que les protections tarifaires en faveur des biocarburants ont pour conséquence de détourner quelque 120 millions de tonnes de céréales de la consommation humaine vers le secteur des transports. Les mesures sanitaires et phytosanitaires unilatérales ainsi que les obstacles techniques au commerce constituent des freins aux exportations et singulièrement pour les pays en développement. Il y a enfin la spéculation exacerbée par les mesures de libéralisation des marchés à terme des produits agricoles dans un contexte de crise économique et financière. Ces nouvelles conditions ont permis de transformer des instruments d’arbitrage de risques en produits financiers spéculatifs qui se substituent à d’autres placements moins rentables. La solution au problème de la faim et de l’insécurité alimentaire dans le monde passe donc par la coordination efficace des décisions qui devraient porter à la fois sur l’investissement, le commerce agricole international et les marchés financiers. Dans un contexte climatique aléatoire marqué par des inondations et des sécheresses, il faut pouvoir financer les petits ouvrages de maîtrise de l’eau, les moyens de stockage au niveau local et les routes rurales, de même que les ports de pêche et les centres d’abattage des animaux, etc. Ainsi seulement, sera-t-il possible de sécuriser la production vivrière, d’améliorer la productivité et la compétitivité des petits agriculteurs en vue de baisser les prix à la consommation et d’augmenter les revenus de populations rurales qui représentent 70% des pauvres dans le monde. En outre, il faut parvenir à un consensus dans les trop longues négociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour mettre fin aux distorsions des marchés et aux mesures restrictives au commerce qui aggravent les déséquilibres entre l’offre et la demande. Enfin, l’introduction de nouvelles mesures de transparence et de régulation est urgente pour faire face à la spéculation sur les marchés à terme des produits agricoles. Gérer les crises est indispensable et c’est bien, mais les prévenir c’est mieux. Sans décisions de nature structurelle sur le long terme avec la volonté politique et les moyens financiers nécessaires à leur mise en oeuvre, l’insécurité alimentaire va persister avec une succession de crises aux conséquences graves sur les populations les plus démunies. Cela va engendrer l’instabilité politique des pays et menacer la paix ainsi que la sécurité du monde. Les discours et les promesses des grandes réunions internationales, s’ils ne sont pas suivis d’effets, ne font qu’accroître les frustrations et les révoltes. Le temps est venu d’adopter et de mettre en oeuvre des politiques qui permettent à tous les agriculteurs du monde, des pays en voie de développement comme des pays développés, d’avoir des revenus décents par des mécanismes qui ne créent pas des distorsions de marché.

Source : Agriculture du Maghreb