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Campagne de toutes les difficultés

(28/04/2010)

Jamais, au cours de sa vie d’agriculteur, M. Hamid Bouziane, agriculteur de la région de la Chaouia, n’a connu une campagne aussi hétéroclite. D’une région à l’autre et au sein d’une même exploitation, les champs se suivent et ne se ressemblent pas (stades, état végétatif, …). Cet état de choses s’explique par les conditions climatiques particulières de cette année qui ont complètement désorganisé le planning des travaux auquel les agriculteurs sont habitués.

En conséquence, l’état végétatif est très hétérogène et peut être estimé, en étant optimiste, pour moitié de bon état et de médiocre à moyen pour l’autre moitié, sans parler des zones sinistrées. Malgré l’impression que donne une pluviométrie largement supérieure à la normale, la production céréalière nationale cette année risque d’être au mieux moyenne, avec une production entre 50 et 60 Millions de quintaux. En cause, entre autres, la réduction des emblavements cette année de 8,2 % par rapport à la normale (4,7 Mha au lieu de 5,1), en plus des régions qui ont eu leur part de superficies perdues à cause des inondations ou de l’asphyxie racinaire due à l’excès d’eau.
Des conditions difficiles
De même la campagne n’a pas débuté dans de bonnes conditions puisque les précipitations tardives en début d’année ont fait perdre 30-45 jours en moyenne sur le cycle des céréales, ce qui s’est accompagné par un faible tallage et une densité réduite de pieds au m². Plus tard, les précipitations excessives ont empêché l’accès aux champs pour l’exécution des travaux : apport d’engrais de couverture (dont les besoins sont directement proportionnels aux précipitations), désherbage, lutte fongicide, … Concernant ce dernier point, le climat humide et doux de cette année offre les conditions idéales pour le développement des maladies
cryptogamiques qui augmentent d’intensité d’année en année à tel point qu’un seul traitement ne suffit pas à couvrir la période de risque.
Les variétés de blés dur et tendre ont réagi différemment aux conditions de production et principalement vis-à-vis des maladies cryptogamiques. Les variétés présentant une résistance ou tolérance (Radia, Salama,…) ont supporté l’attaque des champignons
alors que les variétés sensibles (Achtar, variété la plus utilisée par les agriculteurs, …) ont subi des dégâts important d’autant plus que la plupart des producteurs ont traité tardivement en raison de l’inaccessibilité aux champs, ou n’ont pas traité pour les raisons habituelles de coût ou de manque de conscience de l’impact sur les cultures. Tous ces facteurs affectent sérieusement les composantes du rendement : densité au m², taille de l’épi, remplissage du grain, poids spécifique, …
Autre composante fondamentale de la production nationale, l’orge, qui représente habituellement plus de 40% des superficies, est très affecté par la période chaude et sèche de mars-avril, ayant coïncidé avec l’épiaison-floraison, d’autant que cette culture est installée essentiellement dans les zones bour défavorable, aux sols caractérisés par une faible capacité de rétention de l’eau.
L’orge, ne supportant pas l’excès d’eau, et l’avoine (fourrage) ont été les plus touchés des céréales et presque entièrement détruits dans certaines régions, en raison de leur sensibilité aux maladies (helminthosporiose) dont les attaques, sévères cette année ont commencé très tôt sachant que, pour les agriculteurs ces cultures ne nécessitent pas de traitements.
Des interventions perturbées
Même si les études n’ont pas encore été effectuées pour l’évaluation des résultats, on peut déjà dire qu’on va assister à une mauvaise campagne commerciale pour les professionnels du phytosanitaire. En effet, contrairement à la campagne précédente le désherbage anti-dicotylédones a été inférieur de 50% à une bonne campagne (année commerciale). De même pour les anti-graminées, qui sont moins utilisés que les précédents, la campagne risque d’être catastrophique. Les gros producteurs se sont rattrapés sur les fongicides. Cependant l’intervention a été tardive, décalée par rapport à la période habituelle et les producteurs ont attendu de voir l’attaque (déjà trop tard). Sur le terrain et vu le retard pris sur le désherbage de nombreux producteurs ont hésité quel produit utiliser désherbant ou fongicide et certains ont utilisé les deux en même temps sachant que les périodes normales
d’application sont différentes.
Difficulté d’accès
Un autre constat s’est dégagé cette année, c’est que la mécanisation de l’agriculture marocaine n’est pas adaptée au travail dans les conditions d’humidité. D’où la grande demande pour la pulvérisation par avion qui a débordé les zones traditionnelles.
D’ailleurs, les avions disponibles étaient insuffisants pour répondre à toues les demandes. L’utilisation des avions a du aussi faire face à de nombreuses contraintes comme les conditions climatiques qui n’étaient pas toujours adéquates pour l’aspersion. De même le refus des autorités de permettre l’utilisation des routes secondaires pour le décollage et l’atterrissage, entraînant la nécessité pour les agriculteurs d’aménager des pistes d’atterrissage (600 m). À signaler que le traitement par avion coûte 175 à 200 dh/ha (dont 20% de TVA) selon la superficie à traiter (100 ha minimum) et la dose de bouillie utilisée. Ce qui représente 4 à 5 fois le coût du traitement par tracteur, sans compter le prix du produit, la nécessité d’une équipe bien étoffée d’ouvrier, d’une citerne d’eau, etc.
Au dire des professionnels, si le haut Saïss a été sauvé, beaucoup de régions peuvent, d’ores et déjà, être considérées comme sinistrées. Les champs les plus affectés sont ceux qui ont été mal travaillés : semis sur sols boueux, sans apports d’engrais de fond, précédent
céréale, etc. Dans le Saïss et une partie du Gharb, la crue des oueds a emporté une partie des superficies, inondé les terrains en bordure avec des dépôts d’alluvions et des remontées d’eau dans les endroits vallonnés. Par contre, sur les parcelles situées en hauteur, bien drainées, ayant échappé aux problèmes d’excès d’eau, les agriculteurs ayant bien travaillé ont pu sauver la mise. C’est que les travaux étaient difficiles et ont nécessité beaucoup de main d’oeuvre pour appliquer (dans un sol détrempé) deux ou trois fois les engrais azotés de couverture et transporter les pulvérisateurs à dos pour réaliser les traitements herbicides et fongicides.
Les petits producteurs, manquant cruellement de moyens, n’ont rien pu faire.
Améliorer les subventions
Les précipitations d’avril, attendues habituellement pour permettre de terminer le cycle et d’assurer un bon rendement final risquent cette année (si elles surviennent) de n’avoir aucun effet, voir même un impact négatif. Les seuls pouvant encore en profiter sont les champs en bon état végétatif dans les régions tardives ou les variétés à cycle long (Amal, etc). A signaler aussi que, la taille des plantes étant réduite, il en résultera peu de paille et de mauvaise qualité à cause des champignons. Autre remarque, les champs précoces ayant atteint les premiers stades de maturité connaissent une attaque sévère et concentrée des moineaux, sachant que la lutte est difficile et coûteuse.
Abordant l’utilisation des intrants, condition de réussite d’une bonne production, un producteur de Berrechid estime que les subventions devraient concerner tous les intrants et non seulement les semences. En effet, il est peu utile de mettre à la disposition de l’agriculteur des semences à haut potentiel s’ils ne peuvent leur assurer la fertilisation, les désherbages et traitement fongicide dont elles ont besoin et qui coûtent de plus en plus cher.

Abdelmoumen Guennouni

Source : Agriculture du Maghreb